Correspondance. Deux importantes colonies israéliennes, illégales au regard du droit international - 10.000 habitants au total -, sont implantées en bordure même de la ville d’Hébron, et trois petites au coeur de la vieille cité. Les colons tentent par tous les moyens d’étendre leurs installations et la cohabitation avec les Palestiniens est « musclée ». Les colonies d’Hébron sont protégées par 3.000 soldats de l’armée israélienne. La ville est un enjeu majeur car, de même que Jérusalem, elle est ville sainte pour les trois grandes religions monothéistes. Elle abrite le tombeau des patriarches de la Bible, Abraham, Isaac et Jacob. Selon une ancienne tradition, c’est aussi l’entrée du jardin d’Eden dont Adam découvrit le secret en respirant le parfum d’Eve. Le Roi David y fut sacré et y régna sept ans.
Il n’y a plus de chrétiens à Hébron
Comme toute la Palestine, la ville connaît, depuis trois mille ans, une succession ininterrompue d’invasions, d’exactions... et parfois de fraternisations. L’empereur romain Justinien y érige une église sur le tombeau même des Patriarches, les musulmans la transforment en mosquée lors de leur conquête en 638, mais autorisent les juifs à y bâtir une synagogue. Les Croisés réinstallent les églises et expulsent les juifs. Plus tard, sous la domination ottomane, Hébron devient un centre d’études juives important et, à la fin du XVIIIe, la ville est l’un des pôles commerciaux les plus prospères de la région. Il n’y a plus, depuis longtemps, de chrétiens à Hébron. Les chrétiens de Palestine, même s’il en reste peu, sont plutôt installés à Bethléem, à 20 kilomètres au nord d’Hébron, à Jérusalem ou à Nazareth. Ainsi, Palestiniens musulmans et colons juifs sont-ils face à face.
Dès 1967, les premiers colons s’installent
Dès le début du XXe, des troubles éclatent entre les communautés en raison du développement du mouvement sioniste qui amène une importante immigration juive d’origine européenne, considérée comme une invasion par les musulmans implantés là depuis des siècles. La Grande-Bretagne, puissance mandataire à partir de 1920, déplace tous les juifs de la ville. Plus tard, les Jordaniens, nouveaux tuteurs, font de même. Après la victoire de 1967, Israël occupe la Palestine et cette situation dure depuis cinquante ans. Dès cette date, des colonies de peuplement israéliennes s’implantent sur les hauteurs avoisinantes ainsi que dans le centre de la vieille ville, solidement protégées par l’armée. La plupart des 500 colons du centre-ville sont des ultrareligieux, souvent d’origine américaine ou française. En 1994, l’un d’eux massacre 29 musulmans en prière dans la mosquée du tombeau des Patriarches. Aujourd’hui, avec l’échec du processus de paix et l’assassinat, fin juillet 2015, d’une famille palestinienne par un colon israélien et les réactions palestiniennes qui suivirent, la tension est de nouveau à son comble, étendue à toute la Palestine.
Au coeur de la violence
Des gamins de douze ans jettent des pierres aux soldats, qui ont ordre de tirer en réplique. Des adolescents et de jeunes adultes, couteau à la main, se lancent dans des opérations suicide parce qu’ils ne se voient plus d’avenir. Leur seul horizon est un mur de béton de huit mètres de haut. Leurs parents et les autorités palestiniennes sont incapables de les contrôler. De l’été 2015 au 15 février 2016, on a compté 228 attaques ou prétendues attaques en Israël-Palestine, entraînant la mort de 31 Israéliens et 180 Palestiniens. La moitié des agresseurs supposés ont moins de 20 ans. 40% des faits ont eu lieu à Hébron.
En complément
Un quartier, deux religions, deux écoles
Pour parvenir à leur école située rue Shohada, les jeunes Palestiniens venant de l’ouest de la ville doivent franchir un premier check point, le CP56, succession de tourniquets métalliques et de détecteurs de métaux entre de hauts grillages. Des soldats israéliens lourdement armés surveillent les opérations. Occasionnellement, les sacs des enfants sont fouillés. Deuxième contrôle, au CP55, 50 mètres plus loin, devant la colonie de Beit Hadassah, d’où sortent, à la même heure, des petits Israéliens que leurs parents - père en kippa, mère en tenue traditionnelle des juifs religieux, foulard sur la tête et jupe longue - conduisent eux aussi à l’école, une autre école... Entre les gamins du même âge, les regards ne se croisent guère car les colons sont souvent agressifs, avec des gestes sans équivoque... Les familles israéliennes s’engouffrent dans des voitures, tandis que les petits Palestiniens attendent au contrôle, sous les fusils d’assaut. L’entrée dans la rue Shohada, autrefois très commerçante, est filtrée depuis 2000, après la deuxième intifada.
« Zone militaire fermée »
Après les événements de septembre 2015 - une jeune fille palestinienne de 20 ans soupçonnée d’attaque au couteau a été tuée par les soldats au CP56 (des témoins auraient vu les soldats déposer un couteau près de son corps...) -, cette rue a été déclarée « zone militaire fermée ». Seuls peuvent y pénétrer après contrôle et souvent fouille, les familles palestiniennes demeurant dans la rue, ainsi que les enfants de l’école Cordoba et leurs professeurs. Les colons accèdent par l’autre côté. La rue est le plus souvent déserte, les colons ont le droit d’y circuler en voiture. L’école accueille 150 enfants palestiniens de 6 à 16 ans et 16 professeurs. Avec mon équipe, nous sommes stationnés, chaque jour, aux check points, pour l’entrée et la sortie des enfants. « Votre présence rassure les gosses et calme les colons », me déclare Nora Nazar, la courageuse principale de l’école Cordoba. « Et les soldats font plus attention », poursuit-elle. Une grosse camionnette blanche passe en trombe, sous nos yeux, sans égard pour les écoliers qui se présentent entre les grillages du deuxième check point. « Aide du peuple américain aux courageux colons juifs », arbore-t-elle sur la carrosserie en grosses lettres rouges.
Aux côtés des familles palestiniennes
Ancien préfet maritime de l’Atlantique, le Brestois Laurent Mérer est engagé pour trois mois à Hébron dans le cadre d’un programme international d’accompagnement des familles palestiniennes dont la vie quotidienne est durement soumise à l’occupation israélienne. Ce programme, monté par le Conseil oecuménique des églises en réponse à la demande pressante des églises chrétiennes de Palestine, soutient également les organisations israéliennes opposées à l’occupation et à la colonisation. Il s’adresse « aux hommes et aux femmes de bonne volonté ». Corinne Mérer, son épouse, participe au même programme à Jérusalem. On peut soutenir financièrement leur action en visitant la plateforme Kengo de financement des projets bretons : https://www.kengo.bzh/projet/mission-de-paix-pour-deux-brestois